dimanche 23 septembre 2018

La rencontre (Une photo, quelques mots #83e)

 
 
Ils auraient pu prendre l'avion, puis louer une voiture.
Ils auraient pu avaler les kilomètres en moins de rien.
Ils auraient pu s'épargner la chaleur étouffante, la moiteur du wagon, les grincements et le vacarme de cette machine roulante.
Ils auraient pu.
Mais non.
 
Alors ils sont seuls dans ce wagon bondé, seuls au milieu de tous. Seuls à se tenir la main. Seuls yeux clairs parmi les peaux mates. Les seuls à voyager chargés, sacs à dos et valises immenses...
 
Ils ont préféré envisager ce trajet comme un périple. Mettre pied à même la terre tantôt aride tantôt baignée de pluie.
Ils ont préféré atterrir dans la capitale, et parcourir le reste du trajet en train. Puis en bus jusqu'au village dévasté.
Ils ont préféré s'imprégner jusqu'à la chair de l'atmosphère de ce pays, comprendre ses codes, en supporter le climat, en découvrir la culture.
Oui, c'était mieux. Pour avoir des choses à raconter. Pour plus tard.
 
Pour elle, celle qu'ils voient depuis des mois à travers un écran, celle dont chacun possède une photo -elle dans un médaillon, lui dans son portefeuille- celle dont le prénom sonne comme une promesse, celle dont la chambre est déjà prête, là-bas, dans leur maison, à Londres.
Celle qui a vécu l'enfer d'une catastrophe naturelle, celle qui a tout perdu.
Celle qu'ils viennent officiellement d'adopter.
 
Plus que quelques kilomètres et ils la rencontreront.

 

Quant l'inspiration pour l'atelier du lundi de Leiloona me vient en faisant la vaisselle...

lundi 10 septembre 2018

Fausse bonne idée (Une photo, quelques mots #82)

Photo Gabriel Augusto
 
C'est qui, celle-là ?
C'était sûr, que c'était une fausse bonne idée.
Et dire qu'elles s'étaient levées aux aurores, luttant pour garder les yeux ouverts, marchant à pas de sioux dans la maison pour ne réveiller personne. Enfin surtout Fab', qui n'avait pas quitté le canapé, incapable de rejoindre son lit, terrassé par le triple mojito ingurgité pour cause de partie de poker perdue.
Non mais regardez-la, avec ses grands écarts et ses salto arrière... on dirait une autruche réalisant la parade nuptiale pour attirer le mâle en manque. Si tant est que l'autruche soit adepte de ce genre de pratique. Te casse pas, ma belle, y'a que des meufs à ton cours de... de quoi déjà ? De "gym douce et tonique pour retrouver un corps athlétique" ?
Quel est le con qui a décrété que les vacances doivent servir à se reprendre en main, reprendre le contrôle de son corps, s'aérer, profiter de la fraîcheur matinale, bref, toutes ces conneries dont les pubs nous rabattent les oreilles ?
Il est 7h30.
7h30 bordel.
Regard en coin aux copines. Toutes l'air aussi halluciné qu'elle. Mais pas moyen d'être celle qui déclare forfait, qui abandonne.
Soudain, un bip bip familier les ramène à la réalité, perturbée par la grande gigue et sa danse de l'enfer. On avait dit "pas de portable". Mais Isa le sort de la poche de son short minuscule.
- Y'a Max qui nous demande ce qu'on veut pour le petit dèj' : croissants ou pancakes ?
Soulagement général.
- Pancakes. Tout de suite.
Demi-tour toute.
Elles garderont les fesses molles et le ventre flasque. Mais plein, le ventre.
Parce que c'est ça les vacances.


Ouf, il n'est pas trop tard.
Sur le fil, je ressuscite ce blog et reprend le chemin de l'atelier de Leiloona, Une photo, quelques mots, pour ma 82e participation.

lundi 18 décembre 2017

Le trésor caché (Une photo, quelques mots #81)

 
 
Mai 2018
- Bon sang, mais t'as trouvé ça où ?
Alexis n'en revenait pas. Il avait sous les yeux un exemplaire original de la Bible, traduit en slavon, cette langue éteinte dont seuls quelques rares écrits liturgiques comptaient encore des traces.
- Tu peux traduire, ou pas ?
- Seulement si tu me dis d'où te vient ce truc.
- De la bibliothèque de la famille d'un élève.
- Tu copines avec les parents d'élèves, toi, maintenant ?
Alors Suzie raconta.
 
Octobre 2017
- Madame, à propos de Victor Hugo...
- Oui, Johann, vous avez une question ? demanda Suzie, en rangeant son bureau. Elle devait laisser la place à un collègue et se maudissait à chaque fois de tout le foutoir qu'elle parvenait à sortir de son sac en seulement trois heures de cours.
- Non, c'est pas une question. Enfin, disons que le grand-père de mon grand-père connaissait bien Victor Hugo, ils s'écrivaient beaucoup.
- Sérieusement ? C'est incroyable, ça. Votre grand-père a-t-il gardé des lettres ?
- Oui.
- Quelle chance ! Il faut que vous y jetiez un œil, ce sont des pépites, vous savez.
 
La semaine suivante, Johann lui avait apporté une photocopie d'une lettre manuscrite. Suzie n'en était pas revenue. L'écriture de Hugo, à la plume, était quasiment indéchiffrable pour un œil non averti. Mais une très grande émotion l'avait saisie dans l'instant.
- Il en a beaucoup, votre papi, des comme celle-là ?
- Oui.
Pendant plusieurs jours, Suzie n'avait pas cessé de sortir et de lire la lettre photocopiée. Cette famille détenait un trésor, et elle n'en avait pas conscience. Elle aurait tant aimé faire quelque chose, mais quoi ?
 
Décembre 2017
- Maman, c'est ma prof principale, et ma prof de français, aussi.
Suzie adressa un franc sourire à la femme grande et mince qui se tenait devant elle, et lui tendit la main.
- Bonsoir Madame Vasseur, asseyez-vous, je vous en prie.
La maman de Johann écouta attentivement les remarques de Suzie sur le premier trimestre de Johann, qui se débrouillait très bien, pour un début de 2nde. Mais très vite, les deux femmes dévièrent vers ce qui tenait Suzie encore éveillée certains soirs :
- Mon fils m'a dit que vous aviez déchiffré la lettre qu'il vous a confiée. Je n'y suis jamais parvenue. Que dit-elle ?
Les yeux de Suzie brillaient de surprise et d'enthousiasme lorsqu'elle lui répondit.
- Hugo raconte le voyage retour d'un court séjour chez des amis. Je n'ai pas pu trouver de qui il s'agissait, d'où il venait, ni où il se rendait.
- Cela vous intéresse, de voir les autres lettres ? demanda la maman.
 
La famille de Johann lui avait alors ouvert les portes d'un domaine modeste, mais qu'on devinait prospère auparavant, et surtout celle de l'immense bibliothèque familiale. Un cadeau de Noël inespéré et magique pour la passionnée de littérature qu'elle était. Elle avait découvert des ouvrages rares et inédits, une correspondance abondante entre l'aïeul et de célèbres écrivains. C'était également un collectionneur acharné. La propriétaire des lieux et la jeune enseignante ne s'étaient plus quittées.
 
Mai 2018
- Alors, tu peux traduire ? demanda Suzie à son ami, véritable expert des langues slaves de par ses origines et ses études. A la fac, Alexis s'était lancé le pari fou de se spécialiser dans les premières diffusions et traductions des évangiles et de La Bible.
- Probablement. Tu le veux pour quand ?
- Dans un mois. Notre association inaugure sa première exposition au domaine des Vasseur le 4 Juillet. Et cet écrit en est la pièce maitresse.
 
Alexis ne l'écoutait déjà plus. Il était plongé dans le manuscrit et ses caractères mystérieux.
Suzie sourit. Le trésor était déterré et elle était fière d'avoir donné le premier coup de pioche pour le rendre à la vue de tous.
 

Dernier écrit de l'année, pour l'atelier de Leiloona.
Histoire librement inspirée d'une anecdote de classe. J'ai vraiment en ma possession la photocopie d'une lettre adressée par Victor Hugo à l'ancêtre d'un élève. Une pépite.
 
 

dimanche 17 décembre 2017

Créations de Noël

 
En ce dimanche pluvieux et à J-8, il était temps de se mettre au bricolage de Noyel.
Voici deux bidouillages pour offrir.
 
Un cadre customisé, pour ma jolie filleule, avec une photo de nous deux dedans.


 
Un marque-page pour une élève, tirée au sort lors du Secret Santa organisé avec la classe.


 
 

Et un troisième, à gauche sur la photo, totalement différent. Pour une collègue, en souvenir d'un voyage à Paris en covoiturage.



Bientôt, je vous montre les cadeaux que je me suis fait à moi-même.


lundi 2 octobre 2017

(Une photo, quelques mots # 80 )

Ma 80e participation à l'atelier de Leiloona, sur une photo qui m'évoque beaucoup de choses. En vrai, j'adore.
Mais pourquoi ne pas prendre le contre-pied de mes émotions, pour une fois?
C'est parti!
 

Photo Karine Minier


Couloir de pierre emmurant l'herbe folle
Serpent mouvant s'insinuant toujours plus profond
Fleuve de poussière et de béton
Froid.
Doigts crochus de ferraille enserrant la nature
La fleur ne peut pas sortir de l'ortie
Elle s'étouffe et s'asphyxie
Chape de brume aussi lourde que du plomb
Entends le cri de la vie qui meurt.


Pour lire tous les textes de ce lundi, c'est par ICI!

dimanche 1 octobre 2017

Moi après mois, retour sur ce qui a "été"

En cette fin de mois de septembre, j'ai eu envie de me poser un peu et de revenir sur un été intense, en joies mais pas que...

Sur une idée de Moka du blog Au milieu des livres.
 
 
 
 
Une fin d'année scolaire épuisante / Ce week-end entre filles à la plage / Des coups de soleil et des fous-rires / Quand tu penses arriver super tôt à la gare mais que ton train est déjà parti / Quelques jours parisiens pour aller voir des normands / Une journée de marraine chez Mickey : ma grande si jolie /  Un nouveau Space Moutain encore meilleur / Quand un orage fulgurant inonde la rue et les voitures : grosse frayeur / Les quatre ans de Samuel : mon petit cœur grandit / Ce 14 Juillet en famille / Reprendre la route pour Paris, en bonne compagnie / Coldplay au Stade de France : ce concert incroyable de fraternité et de magie / En prendre plein les yeux, les oreilles et le cœur / Planer encore des jours après / Une semaine de festival de théâtre, avec celle qui partage ma passion / De jolis moments de scène et des déceptions, aussi / Marathon GoT : se refaire les saisons 1 à 4 entre les épisodes de la saison 7 / "Vivre dans un donjon" et cet artiste anglais si énigmatique / Quand un des tiroirs de la cuisine se décroche : tu fais les comptes de ce qu'il te reste de vaisselle / Rencontrer l'amie d'une amie qui est amie avec une de tes plus vieilles amies / Une journée avec les meilleures / Et soudain, Hina est là : bienvenue petite puce, on t'a bien fêtée! / Voir la maison de ses grands-parents habitée par d'autres : souvenirs de ces après-midis passés à bouquiner sur les marches de la porte d'entrée / En profiter pour relooker des chaises bistrot pour chez soi / Laisser mûrir un nouveau projet théâtre dans sa tête / Ce début du mois d'Aout et ses mauvaises nouvelles / Peut-on vraiment finir sa vie à six ans à peine? / Douleur immense pour ceux qui restent / Dire également adieu à son oncle / Finir le mois d'Août en Espagne : quinze jours de rêve, de farniente et de beau temps / Rosas, ses calanques et son parc naturel / Cadaquès, ses rues blanches aux lauriers majestueux, ses artisans et ce sublime restaurant / Cet appartement à la vue impressionnante et jamais pareille / Ces deux semaines entre amis / Un retour en train plutôt épique / Ne pas réaliser qu'on a repris le boulot / Ah mon dieu, les fesses de Jon... / Retrouver ses BTS choupis et leur lot de blagues débiles / Trois classes tranquilles / Enchaîner avec un week-end de totale déconnection dans un gîte en pleine nature / Les 40 ans de celle qui ne les fait pas / Karaoké, balades en forêts, extermination d'araignées... / Reprendre les rênes de l'atelier théâtre / Guetter l'ouverture de la billetterie pour un concert qu'on attend depuis longtemps /

lundi 19 juin 2017

Les perdants (Une photo, quelques mots #79)

Grâce à une photo très bien choisie, mon blog renait à la vie.
Inspirée je suis, pour reprendre l'atelier du lundi!
Merci Leiloona chérie!
(ah oui, je suis en forme, je vous l'ai dit...)


Non mais qu'est-ce qu'ils foutent, c'est pas possible!
Hervé perdait patience. Il observa sa tête dans le rétroviseur. Allez, calme-toi, mon vieux...
Voilà bien trop de temps que ses amis étaient sortis de la voiture, sous le coup d'une envie pressante, le laissant seul à l'arrière.
Julien avait fait vite, se contentant de se planquer derrière l'un des platanes bordant cette route de campagne, sur laquelle ils roulaient depuis une trentaine de minutes.
Valentine, elle, s'était enfoncée dans le sous-bois sur la droite, à la recherche d'un coin tranquille (elle était très à l'aise avec eux, mais il y avait des limites), relevant de ses deux mains le bas de sa robe et posant ses pieds escarpinisés avec précaution dans l'herbe humide. Elle riait aux éclats et le cœur d'Hervé s'était serré. Qu'est-ce qu'elle était belle...
Déjà, il avait cru défaillir en la voyant sortir de chez elle. Lui qui la connaissait plus souvent en jeans basket qu'en robe de cérémonie, le souffle lui avait manqué. Ses cheveux blonds relevés dévoilaient son cou gracile, qu'il avait eu tout le loisir d'observer pendant tout le trajet, puisqu'elle avait pris place à l'avant, devant lui, et sa robe taille empire mettait sa poitrine généreuse en valeur.
Il n'avait pu que lui dire : "Tu es splendide."
Elle avait maugréé : "Mouais. Si on veut. C'est de la torture de masochiste, ces putain de chaussures!".
Valentine, quoi. Tout en délicatesse.
 
Hervé tourna la tête à droite, fouilla du regard le bois, au delà des fougères qui en barraient le passage, guettant le retour de Valentine. Et de Benjamin.
Benjamin qui avait galamment proposé d'accompagner Valentine, parce qu'on ne sait jamais ce qu'on peut rencontrer dans les bois. C'est cela, oui... Non mais il se prenait pour qui, lui? Il la connaissait depuis quelques mois seulement et il se comportait en... propriétaire. Voilà, c'était le mot. En propriétaire. Avec elle. Sa Valentine. Leur Valentine, à lui et à Julien. Et ça l'agaçait. C'est vrai, après tout, c'était qui, ce type? Qu'est-ce qu'on savait vraiment de lui?

Enfin, Hervé vit apparaître une silhouette dans le rétroviseur. Julien. Bon sang, c'était pas trop tôt!
- Qu'est-ce t'as foutu? Ils sont où, les autres?
Julien prit place à côté de lui.
- Occupés. Ils sont... occupés.
Hervé ne saisit pas tout de suite. Ce n'est que quand il vit la pâleur sur le visage de Julien qu'il comprit. Non. Non, impossible. Valentine ne ferait pas ça. Pas son genre, non. Et Benjamin devait bien se douter que Valentine, c'était chasse gardée. Pas touche. Pour eux trois. C'était la règle. Leur règle implicite, mais leur règle...
Un silence pesant s'installa entre les deux amis, un silence qui mettait entre eux une distance infinie dans cet espace si exigu. Un silence bientôt brisé par des rires étouffés et des pas bruissant dans les herbes hautes.
Benjamin et Valentine revenaient. Elle, toujours chancelante sur ses escarpins, comme un peu ivre, se tenait fermement à lui. Son chignon sophistiqué et impeccable quelques temps auparavant manquait maintenant curieusement d'équilibre. Lui, les yeux fiévreux, avait passé son bras autour de la taille frêle de Valentine. Sa cravate était dénouée, et les deux premiers boutons de sa chemise étaient ouverts.
Ils montèrent en voiture, lui au volant, elle sur le siège passager.
- Bon, c'est reparti, dit-il joyeusement en mettant le contact.
- On n'en a plus pour longtemps, ajouta Valentine. Ma mère va être ravie de vous revoir, les gars!
A l'arrière, Hervé et Julien ne répondirent pas. Ils se remémoraient encore comment, au remariage de la mère de Valentine, Benjamin, que la mariée ne connaissait pas, avait été invité.
Un jour, il était arrivé dans cette voiture de collection (une voiture de frimeur, avaient-ils pensé), et Valentine avait poussé des cris d'excitation. Elle serait parfaite en voiture balai!!
Et personne n'avait jamais su dire non à Valentine.


Ah que ça fait du bien de se remettre à écrire!!
Un bien fou.
En plus, j'ai retrouvé avec plaisir mon quatuor compliqué, pour la troisième fois. Benjamin, puis Julien, s'était confiés sur Valentine, respectivement sur les textes "Et pourtant..." et "Dans la brume".
Il me fallait Hervé, maintenant.
Peut-être qu'un de ces quatre, vous aurez droit à la version de Valentine. Peut-être...

Pour lire les autres textes de cet atelier qui fête ses six ans d'existence, c'est par ICI, sur Bric à Book, le blog de Leiloona.