lundi 15 septembre 2014

Les voyages forgent la jeunesse...

                                    Photo de Marion Pluss

Chaleur étouffante, moite, dégoulinante... sans un souffle d'air. 
L'épuisement, l'impuissance... L'envie d'être à des kilomètres. 
Depuis les marches du bâtiment délabré qui abrite le centre, le paysage de carte postale a disparu. 

Deux petites silhouettes, serrées l'une contre l'autre, pour ne pas se quitter, se perdre, encore une fois, attirent mon attention. Elles marchent sur le sable, au milieu des débris que la mer charrie... tous les jours davantage.
Méfiance sur les visages, regards de chat apeuré, petites créatures craintives.
Si je m'approche, vont-elles détaler en courant?

"Allez, pars avec nous, ce sera super"... 
J'entends encore les mots de mes coloc', étudiantes en médecine comme moi, qui, il y a quelques mois, tentaient de me convaincre de les accompagner dans leur périple qu'elles préparaient activement, enthousiastes et impatientes. 

"Super"... elle a vraiment dit ça, je n'en suis toujours pas revenue.

Séismes, tsunamis, inondations, programme d'aide humanitaire, les filles sont rodées. Elles ont tout fait, partout dans le monde. A croire que les catastrophes naturelles deviennent les destinations touristiques à la mode. A chaque fois, elles revenaient avec des photos de paysages sublimes et des souvenirs, à les croire, inoubliables...

Face à ces deux paires d'yeux tristes et affolés, ces visages creusés et ces corps émaciés, mon coeur se serre. Qui ont-elles perdu, ces petites? Parents, grands-parents, frères ou soeurs, que leur reste-t-il? 
Un goût amer dans la bouche, mon ventre se tord, j'ai la nausée.

Les copines, elles, ne côtoient pas l'horreur... pas cette fois.
Je suis seule ici, plantée au moment d'embarquer, seule à l'aéroport.
Les filles ont préféré une autre plage, une plage de cocktails et de sable fin.
Ce qui m'attendait? Les morts par centaines, les cris déchirants la nuit, les habitations en ruine, l'impuissance générale... 
Souvenirs inoubliables... un choc, c'est certain. 

Refoulant le vertige qui m'assaille, priant pour que mes jambes tremblantes me portent, au moins encore une fois, jusqu'à ces deux enfants, je me lève péniblement. 

Trois pas. Elles ne bougent pas. 
Six pas... la petite rouquine serre la plus petite dans ses bras, recule et m'observe. 
Je sors de ma poche un paquet de biscuits et le lui tend. A elle, la plus grande, dont le regard dur me transperce. La petite la regarde, remettant en elle sa confiance, ses craintes, ses espoirs s'il lui en reste. 
Furieuse envie de la prendre dans mes bras. 

La rouquine, lentement, se sépare de la petite, sans jamais détacher son regard de moi. Elle prend les biscuits, en donne deux à sa protégée, qui s'asseoit à même le sable. 
Alors, sans geste brusque, je plonge mon mouchoir dans l'eau, m'approche d'elle et commence à lui nettoyer doucement le visage. 


Dur, dur, la photo de la semaine, pour l'atelier d'écriture de Leiloona
Magnifique mais extrêmement bouleversante.

10 commentaires:

  1. Quel beau texte ! Vrai et sincère. La dureté de ces enfants est hélas très juste. Ils en ont souvent beaucoup vu.

    RépondreSupprimer
  2. C'est une photo qui nous a toutes beaucoup touchées et ton texte est vraiment très frappant, bravo !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, la photo était terrible pour moi. Dur dur d'écrire...

      Supprimer