lundi 15 février 2016

Force et faiblesse (Une photo, quelques mots # 59)




Ils sont là. 
Ils sont toujours là. 
Ils l'attendent, la guettent, la traquent. 
Ils l'aperçoivent et lui sourient. 
Pas un sourire engageant, de ceux qui reconnaissent et s'apprêtent à saluer une connaissance, non. Un sourire sournois, à peine esquissé, et le regard mauvais. 

La première fois, ils n'avaient pas bougé. Ils l'avaient juste sifflée. 
Elle s'était raidie, mais ne s'était pas retournée. 
Elle s'était simplement dit que sa nouvelle assurance devait rayonner tout autour d'elle et que ce sifflement n'était que la manifestation d'une admiration légitime pour la nouvelle femme d'affaires qu'elle était.
Et puis elle était en jupe. 
Finalement, c'était plutôt flatteur.  
Elle en imposait même dans la rue, elle n'aurait jamais cru. 

La seconde fois, au sifflement était venu s'ajouter une remarque sur son physique. 
Elle avait soupiré, haussé les épaules... décidément, les jeunes d'aujourd'hui utilisaient un langage bien plus fleuri que ce qu'elle imaginait. 

La troisième fois, ils s'étaient levé. L'avaient suivie. 
Et sa belle assurance avait disparu. Envolée. 
Elle avait accéléré le pas, priant pour que la vue des vigiles à l'entrée de l'immeuble de bureaux les arrête. 
Ils avaient stoppé leur filature sur le trottoir d'en face. 
Ce jour-là, elle avait passé ses nerfs sur la moitié des hommes présents à la réunion qu'elle présidait, affirmant une autorité plus que déplacée. 
Ca leur apprendrait.

Depuis, elle se maudissait. Se détestait.
Comment pouvait-elle être respectée, crainte même, dans son travail, et ne pas pouvoir rabattre le caquet de ces types deux fois plus jeunes qu'elle? 
Elle aurait voulu hurler, leur dire que leur lâcheté d'être à deux après elle n'avait d'égale que la pauvreté de leur vocabulaire.
Leur faire mal. 
Mais elle était terrifiée. Pétrifiée.
Ils étaient deux
Et elle n'était qu'une femme. 


59e participation à l'atelier de Leiloona, sur Bric à Book
Une participation importante pour moi, parce qu'elle s'inscrit dans le cadre d'un projet initié par l'université de Toulon, et le théâtre de la Liberté. 
Je suis plus que fière de participer, en particulier pour une sacrée nana, qui vient parfois (volontairement!) se perdre par ici, et je l'en remercie.

18 commentaires:

  1. Oh non ne finis pas sur "elle n'était qu'une femme", au contraire ... Ne pas se dévaloriser, sinon ils auront gagné.

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    1. Malheureusement, si.
      J'avais envie de frapper fort, parce que le thème est fort.

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  2. Oui, c'est terrible. Et destructeur.

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    1. Alors si c'est terrible, j'ai réussi l'effet que je voulais donner à la fin de ce texte.
      Merci de ton passage ici.

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  3. J'aime la progressivité du texte même si cela va dans le sens d'une certaine forme d'abdication. Mais il est vrai que nous devons lutter contre ces sentiments négatifs qui finissent par nous ronger et ronger notre féminité.

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    1. Oui, voilà, c'est exactement ce que je voulais montrer.
      Le sentiment totalement destructeur qui emporte cette jeune femme forte, jeune et avec toute la vie devant elle.

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  4. "Ils n'étaient que deux et elle était une femme !" On aimerait une telle fin mais est-elle réellement possible ?

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    1. Je l'espère!
      Même si je ne l'ai pas écrit, je le crois vraiment.

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  5. C'est vrai que c'est terrible que ce texte se termine ainsi mais c'est pourtant vrai: la majorité des femmes dans cette situation a peur, il ne faut pas se le cacher. La peur du viol,de la douleur, des coups....L'angoisse d'être souillée, salie, suivie jusque chez elle....Parce que c'est vrai qu'une femme seule contre deux hommes n'aura pas le dessus à moins d'être championne de karaté....Alors oui c'est triste que cette histoire se termine comme ça, mais n'est-ce pas justement contre cela que nous voulons lutter avec ces textes?.....

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    1. Encore une fois, Bénédicte, tu lis dans mes pensées, car tu exprimes exactement ma volonté avec ce texte.
      J'en profite pour te dire que je ne pourrai peut-être pas lire ton texte tout de suite, mon navigateur plante dès que je vais sur le blog de Leil.

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  6. Malheureusement, ce n'est pas parce qu'on occupe une place importante dans la vie professionnelle qu'on garde son assurance et son sang-froid en toutes circonstances. Triste réalité que ce sentiment de honte si souvent exprimé dans les textes que j'ai lus jusqu'à présent (et dans le mien aussi).

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    1. Oui, c'est sûr.
      On peut avoir l'air forte, et manquer de confiance pour se défendre.

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  7. Merci, ma belle, merci pour tes mots, beaux, forts, justes qui disent une réalité si douloureuse et cette remise en question, ce sentiment d'impuissance face à un harcèlement parce que femme ...
    Je t'embrasse bien fort
    Suis toute chamboulée de lire vos textes, ça me donne force, courage et élan pour continuer ce beau projet ! Vous me portez !
    <3

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    1. Merci à toi, pour tes mots aussi.
      C'est une belle aventure à laquelle tu nous fais participer.
      Je suis fière d'en être, parce que le sujet est tellement important, et parce que c'est toi ;)

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  8. Dévaloriser quelqu'un. C'est ce qu'ils arrivent à faire. En fin de compte ils arrivent souvent à retourner la situation et à se victimiser.
    J'ai beaucoup aimé ton texte, mais, comme leiloonna, je mets un bémol sur la dernière phrase...

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    1. Merci Jean-Marc.
      Je savais que cette petite phrase allait faire réagir.
      Mais je maintiens (j'y tiens, hein! ;) ) : c'est le sentiment qui domine (enfin j'imagine) lorsqu'on est victime de ce genre de harcèlement.
      Merci de ton passage ici.

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  9. Tu as raison, on a si peur de ce que ces bêtes pourraient faire à notre corps et à notre âme. Et souvent, notre fragilité physique est notre plus grand désavantage

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    1. Oui, fragilité physique qui engendre fragilité de l'esprit, de la confiance, de l'assurance. L'envie de les remettre à leur place et avoir trop peur de le faire.

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