lundi 21 septembre 2015

Tout à refaire (Une photo, quelques mots #46)

 @ Julien Ribot

- Alors, t'en penses quoi? Elle est bien, non?
- Bien? C'est pas le mot que j'employerais... c'est une ruine, il y a tout à refaire. 
- Oui, mais le prix... 
Après avoir quitté l'agent immobilier qui les avaient raccompagné à l'agence et à leur voiture, David et Emma avaient refait le chemin parcouru, pour revoir la maison. Seuls, ils pourraient encore contempler la  petite cour pavée, les mur de pierre, et... l'étendue des dégâts. Objectivement. Loin des remarques subtilement orientées de l'agent, censé leur faire conclure l'affaire du siècle.
- Il y a de bonnes ondes, dans cette maison, reprit David, elle a du vécu. 
- Sans blague, tu crois? Limite si on n'a pas vu débouler le fantôme de la vieille au détour de l'escalier... 
La remarque fit sourire David. Il partageait évidemment les réticences de sa compagne. Malgré cela, il était sensible au charme de l'endroit et ne pouvait s'empêcher de se projeter.
- Imagine... on pourrait tout refaire comme on veut.
- Non mais tu nous vois, nous, vivre dans un trou paumé comme celui-là? 



Elise attendait, fébrile, le coup de fil de Fabrice. Impossible de se concentrer sur son travail. Elle repassa le balai derrière le bar, pour la troisième fois au moins. Au fond, elle ne savait pas ce qu'elle espérait. Bien sûr, il fallait vendre. Dans sa situation, une rentrée d'argent conséquente n'était pas négligeable. Mais le voulait-elle vraiment? 
Elle misait beaucoup sur cette visite. Elle avait aperçu le jeune couple sortant de l'agence, Fabrice sur les talons, et il lui avait paru bien. D'ailleurs, Fabrice, à midi, alors qu'elle prenait sa commande, lui avait avoué avoir un bon pressentiment sur ces acheteurs. 
Elise imagina les jeunes gens visitant la maison de sa grand-mère, sa maison, maintenant. 
Lui, grand, massif, solide et rationnel, ne manquerait pas de remarquer toutes les failles de la demeure. Il parlerait sûrement isolation, toiture, électricité... car tout était à refaire. 
Elle, au contraire, s'attarderait sur la petite cour, sur le soleil baignant la façade, la tranquillité des lieux, et les bonnes ondes qui s'en dégageaient. Elle aimerait sa maison, c'est sûr... Elle saurait percevoir combien cette bâtisse avait vécu, comme elle respirait l'amour et le partage, elle y verrait le refuge des grandes familles. Son visage doux avait inspiré confiance à Elise. A elle, oui, elle pourrait confier sa maison. 


Encore un chouette moment d'écriture, pour l'atelier "Une photo, quelques mots", de Leiloona sur Bric à Book

15 commentaires:

  1. J'aime beaucoup la construction de ce texte : le jeune couple qui imagine le futur de la maison et la propriétaire qui évoque le passé de celle-ci.

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  2. Comme Albertine, très bonne idée cette double voix. J'aime bien Elise, elle m'a émue.

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  3. Intéressant jeu de points de vue!

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    1. Merci Sabine!
      C'est le contraste que je voulais mettre en avant.

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  4. Ah ah marrant, comme quoi les apparences ... Un peu comme cette maison en ruines, donc ! :)

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    1. Voilà, exactement.
      Les apparences... Elise se plante totalement en croyant qu'Emma va aimer sa maison... comme quoi...

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  5. Très sympathiques tous ces personnages! on a envie que cela marche pour eux.

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  6. J'aime beaucoup l'idée de confier sa maison à quelqu'un. Et aussi que la maison soit comme un personnage bienveillant.
    J'ai évidemment souri aux erreurs de jugement de la vendeuse.
    J'ai bien aimé ce texte, à la fois léger et grave. Bravo !

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  7. J'ai beaucoup aimé les 2 points de vue de ton texte, plein d'espoir et malgré tout mélancolique. Un joli mélange des genres.

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    1. Merci beaucoup!
      Je suis contente que le mélange des registres fonctionne.

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  8. Très joli texte, j'aime beaucoup ces deux points de vue qui se croisent ;)

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