dimanche 24 avril 2016

Il y a des jours comme ça... (Une phrase, un texte #2)

Deuxième participation à l'atelier de Fanny, du blog Les billets de Fanny

La phrase de la semaine est tirée de Un oiseau dans le blizzard, de Laura Kasischke. 

C'est parti !



Le téléphone sonne un matin pendant que je me prépare pour aller au lycée ; je suis en train de tirer mes collants jusqu’à ma taille, en sautillant dans la salle de bains pour faciliter l’opération. Je tends la main pour attraper l'appareil posé en équilibre sur le bord du lavabo ; il tombe. 
Bordel ! Un jour, une millionième chute lui sera fatale.

Un SMS. De William. Un collègue. 
"Me suis pas réveillé. Mon chauffeur est parti sans moi. Tu me récupères au rond-point? 7h25?"
Mon p'tit gars, quand est-ce que tu grandis et que tu passes ton permis ?  
Un mec qui n'a pas son permis passé 30 ans, c'est louche. Ca te donne une idée de comment il se débrouille avec ses deux mains. 

"Ok. Plutôt 7h35. A la bourre aussi."
Il n'y a pas que lui qui a eu du mal à émerger
Faut dire que la nuit fut courte, il me manque au moins 100h de sommeil depuis une semaine. 
A peine rentrée d'un voyage scolaire avec une classe, et de cinq heures de bus, j'ai juste eu le temps de prendre une douche avant de me rendre au cinéma, où mes élèves de TL (entre autres) présentaient les films réalisés pour leur épreuve de Bac. 
La salle déjà éteinte, je me suis furtivement glissée dans le fauteuil gardé par William, non sans remarquer les regards entendus échangés par Juliette et Chloé, les deux langues de vipère de la classe, placées juste devant.
Trop exténuée, je ne suis pas allée au bout. William non plus. Nous nous sommes éclipsés (à plus de minuit tout de même), à la fin du dernier court métrage de nos élèves. Une sortie que nous voulions discrète. 
Perdu. A mi chemin entre nos sièges et la sortie, les lumières se sont rallumées, affichant ma robe orange au beau milieu de l'escalier. Et merde. 

7h45. 
J'ai récupéré William. 
Le visage froissé, il porte les mêmes fringues qu'hier. En effet, il a fait au plus vite !
Je gare ma voiture sur une place à des kilomètres de l'entrée du lycée. 
Forcément, quand on arrive cinq minutes avant la sonnerie, il y a déjà foule sur le parking.
Nous remontons la longue allée qui mène vers la grille, en répondant aux bonjours des gosses. 
Je peine à récupérer la carte d'accès qui ouvre la grille, au fond de mon sac. 
"- Madame, vous voulez que je vous ouvre?" 
- Oui, merci. C'est gentil". 
Mon sourire empli de gratitude s'efface, en découvrant celui de Juliette, sournois. Putain... 
Je sais ce qu'elle voit. Et ce qu'elle va en déduire. 
Juliette est de celle qui repère le moindre détail, qui voit tout. Qui devine quand vous portez des chaussures neuves, ou une nouvelle paires de boucles d'oreille. Elle ne laisse rien passer. 
 
Dans deux minutes, tout Facebook apprendra que la prof de littérature et le prof de philo couchent ensemble.
Elle me sourit toujours. Ses yeux jubilent. Elle sait que je sais ce qu'elle projette. Elle tient le scoop de cette fin d'année.
Et merde. 
Pas que ça me gêne, j'ai l'habitude de ce genre de spéculations. C'est le jeu quand on est prof. 
Mais là... C'est William, quoi... 
Le type au look le plus improbable, à l'allure la plus négligée, et aux conversations les plus déprimantes que je connaisse. 
Plutôt mourir que la laisser penser ça. 
Comme une furieuse envie de retourner me coucher, là, maintenant, tout de suite. La journée commence bien...

4 commentaires:

  1. hihi, c'est vrai que les gamins, parfois, ils pensent tout comprendre ... Ils adorent ça analyser la vie des profs ! Pas tous, heureusement !

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  2. Héhé, excellent ! j'aime beaucoup le jeu de regard avec Juliette et les qui pro quo que créent la vie, comme ça, juste pour nous faire rager :)
    Ton texte est très bien construit et colle super bien avec la citation de Fanny. Merci et bon dimanche !

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  3. Les qui pro quo sont la source de nos vies, sans cela les gens s'ennuyeraient je pense, il faut toujours que quelqu'un juge ou devine :) spéculation, en tout cas ton aventure fut plaisante à lire, Merci :) Biz

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  4. J'adore ton texte, drôle et bien ficelé ! Puis dès que ça touche à l'univers des profs, je suis fan ! C'est vrai qu'on n'a pas la vie facile avec tous ces ragots... mais vaut mieux en rire ! :)

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