lundi 7 juillet 2014

Fermé pour l'été


© Kot  Kot

Mes pas résonnent sur le sol, dans ce couloir vide. 
Vide et étonnamment immense. 
Ce matin encore, quelques silhouettes esseulées faisaient les cent pas devant les salles que je verrouille ce soir pour la dernière fois. Figures pâles et angoissées de ceux qui n'ont plus qu'une toute petite chance d'obtenir le fameux sésame tant espéré. 

C'est toujours avec un pincement au coeur que je fais ma ronde, en ces premiers jours de juillet. L'établissement d'habitude si bruyant et grouillant de têtes blondes agglutinées dans les couloirs parait abandonné. 
Un silence particulier règne dans le bâtiment. Un silence triste et pesant, un silence d'usine en cessation d'activité, un silence de temps qui s'est arrêté. 

Un silence de deux petits mois seulement, pourtant. 
Pas pour moi. 
Ce soir, c'est ma dernière vérification des huit bâtiments, des centaines de salles, mon dernier tour de clé. 

Je devrais me réjouir, comme tous les collègues heureux pour moi au pot de fin d'année. "C'est la quille, disent-ils, enfin!" 
Alors que certains cherchent encore mon prénom, les plus anciens se demandent depuis combien de temps j'officiais derrière le bureau de l'accueil. 

37 ans... depuis 37 ans. 
Même l'émouvant discours en mon honneur et le superbe cadeau (une tablette tactile... que veulent-ils que j'en fasse? Remarque, ça va m'occuper... décrypter le mode d'emploi devrait me prendre trois mois) n'ont pas réussi à me dérider. 

Je viens de fermer le bâtiment 3, j'aime bien celui-là, c'est l'atelier des sections technologiques et professionnelles, ça sent la peinture, l'acier, les machines outils trainent au milieu de salles vitrées équipées de la plus haute technologie, ça change des salles surchauffées qui, après une journée de cours, sentent la transpiration et le surmenage intellectuel. 
Je repense à tous les soirs de réunions parents-profs ou de conseils d'administration où il m'a fallu veiller bien tard pour pouvoir tout fermer et brancher l'alarme.

Voilà, mes pas me dirigent mécaniquement vers le bâtiment 1, vers ma loge. Je ne réfléchis pas, mon corps, pantin bien rôdé, se déplace tout seul. 
Alors, dans un dernier sursaut, pour tromper le silence, je me mets à courir... je cours dans ce couloir désert,  je fais claquer mes chaussures encore plus fort, mon trousseau de clefs fait un boucan du diable, accroché à ma ceinture. 
Je m'attends à voir débarquer quelqu'un, alerté par le vacarme, mais j'éclate de rire; personne ne m'entend, je suis toujours le dernier à partir. Tout le monde est rentré chez soi. 

Moi, mon chez moi, c'est ici. 

Je récupère mon sac, ferme le store de mon bureau, et, un carton sous le bras, je dis adieu à 37 ans de vie rythmée par les sonneries du téléphone, le va et vient des élèves devant la grille et mes rondes journalières. 

Je referme la grille de fer le plus doucement possible... mais son grincement est encore plus assourdissant que d'habitude. 



C'était une nouvelle participation à l'atelier d'écriture de Leiloona, qui redonne vie à ce blog délaissé depuis plus d'un mois.

1 commentaire:

  1. Bravo ! j'admire toujours autant celles qui ont le courage de prendre la plume ! bises

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