lundi 18 janvier 2016

Nadine... (Une photo, quelques mots #55)

 

@Vincent Héquet

Nicolas respire un grand coup.
La vache, ça fait haut... 
Pourtant, il doit y aller. 

Il s'approche de l'escalier de secours, celui de l'extérieur. On ne sait jamais, il doit rester un maximum visible. Il pose un pied prudent sur la première marche. Il est gringalet, mais, quand même, faudrait pas que ça s'écroule sous son poids. C'est dans un état, faut dire... 

Nadine habitait là, avant. Nicolas le sait maintenant. C'est la boulangère qui le lui a dit ce matin. Cette bonne femme curieuse posait des questions chaque fois qu'il allait chercher le pain ou les croissants le dimanche. "Bonjour Nicolas, ça va? Je t'ai vu au parc mercredi. Que fais-tu avec cette vieille folle qui traîne dans nos rues? Tu n'as pas d'amis de ton âge?". 
Si. Il en avait. 
Des amis qui jouaient à la Play ou à Candy Crush, le nez collé sur leur smartphone, les écouteurs dans les oreilles. Des amis qui ne se parlaient plus. 

Nadine, c'était différent. C'était son amie. En vrai. 
Ok, elle ne sentait pas très bon et peut-être même qu'elle faisait peur. Mais elle était gentille. Et intelligente. Et archi balèze en Maths. Nicolas, ça l'impressionnait. 
Elle lui filait un coup de main pour ses devoirs (avec elle, il comprenait tout) et elle lui racontait des histoires passionnantes. Elle était cultivée. C'est le mot pour dire qu'une personne connait plein de trucs dans plein de domaines. 
Mais parfois elle était triste, Nadine. Parce qu'elle était seule. Il aurait bien aimé l'aider, mais il ne savait pas quoi faire pour elle. 

C'est pour ça qu'il va la chercher. Il sait qu'elle est là. 
Ca fait trois jours qu'il ne l'a pas vue. Qu'elle n'a pas donné de nouvelles. 
Elle aurait pu, vu qu'il lui a filé son tout nouveau portable. Elle disait avoir un coup de fil à passer. Qu'elle le lui rendrait. Mais d'abord, elle devait rentrer chez elle.
En attendant, il s'était fait passer un savon à la maison, en racontant qu'il l'avait perdu. 

Une rafale de vent fait gémir l'escalier. Une cale de bois se détache d'une fenêtre et s'échoue quinze mètres plus bas. C'est dangereux, n'empêche. C'est pour ça qu'ils vont la faire sauter, cette tour. Et celle d'à côté, aussi. 

Lorsque la boulangère avait ajouté ça à l'intention de Mme Daufard, la concierge de son immeuble, Nicolas était resté figé quelques secondes, avant de rebrousser chemin, en courant, oubliant le pain et son envie d'éclair au chocolat. 
Il avait compris. 

Nicolas attrape la poignée de la porte d'accès au 6e étage. Le plus haut. Seul le grincement des gonds brise le silence. Il visitera tout l'immeuble, s'il le faut. Il défoncera toutes les portes, mais il la trouvera. 
Le couloir est immense. Long mais étroit. 
La porte d'un des appartements est ouverte, il voit la lumière. 
Il s'avance sur la pointe des pieds, avec la discrétion de celui qui a fait le mur et qui ne veut pas se faire choper au petit matin. 

Et soudain il la voit. 
Assise par terre, au centre de la pièce, elle attend. 
Un frémissement quasi imperceptible dans ses épaules prouve qu'elle l'a entendu. 
Il lui tend la main. Il n'a pas besoin de parler. 
Il lui sourit. Il aimerait qu'elle lui rende son sourire. Qu'elle accepte. 
Nadine pleure.
Mais désormais, elle sait qu'elle ne sera plus jamais seule. 
Enfin, elle tend sa main, et se lève, péniblement.

Nicolas l'entraine vers la sortie. 
Il faut faire vite, ils ont peu de temps.
Déjà, il entend les artificiers confirmer l'évacuation de la zone.  
Déjà il voit, accoudés aux balcons de l'immeuble d'en face, les habitants qui attendent le spectacle et le bouquet final.



Les amateurs de nouvelles à chute auront reconnu le texte qui a servi mon inspiration. 
En 2001, Thierry Jonquet publie dans un manuel scolaire, Nadine, une nouvelle mêlant les destins de Nadine, SDF, et d'un jeune garçon (dont j'ai oublié le prénom) à qui elle donne un jour par hasard un coup de main en Maths. La fin m'avait laissée meurtrie, petit choc littéraire parmi d'autres. 
La photo de ces immeubles m'a immédiatement fait penser à ce texte. 
Ma modeste contribution à l'atelier de Leiloona cette semaine modifie donc la fin de la nouvelle et le destin de Nadine. 

14 commentaires:

  1. J'adore ce texte de Jonquet donc je l'ai bien reconnu. Jolie fin que tu proposes même si malheureusement... m'enfin... et puis dans la fin de Jonquet, malgré tout, elle reste digne, Nadine.
    Bisous doux

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    1. Je savais que toi, tu allais le reconnaitre.
      Oui, Nadine reste digne, mais la fin de cette nouvelle m'a toujours remuée.
      C'était ma contribution bisounours à cet atelier probablement plus "noir" que les autres avec cette photo.

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  2. Je ne connais pas le texte de Jonquet dont tu parles mais j'ai aimé le tien, sensible et bien mené.

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    1. Merci Brize!
      Lis-le, tu verras qu'il écrit mieux que moi.

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  3. J'aime beaucoup la tendresse et l'humanité qui se dégage de ton texte et qui rend bien hommage à Jonquet

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    1. Merci Sabine.
      Je ne sais pas si c'est un bel hommage, mais j'avais envie de remettre en avant cet auteur et ce texte.

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  4. Je ne connais pas non plus ce texte de Jonquet mais tu m'as donné envie de le découvrir. c'est une bonne idée de s'inspirer de textes existants et de changer des éléments je trouve...moi suis très bisounours alors j'aime <3

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    1. Je suis ravie de t'avoir donné envie de découvrir ce texte.
      Et vive les bisounours, alors!

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  5. Je ne connais pas ce texte,mais le tien m'a tellement plu comme ça que je vais peut-être en rester là....Il n'y a qu'une chose qui m'inquiète:vont-ils avoir le temps de descendre les escaliers?Normalement dès qu'ils seront visibles depuis l'extérieur un pompier viendra les chercher non?....

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    1. Oui, c'est l'idée.
      Je l'ai écrit avec l'intention qu'ils s'en sortent.
      Dans le texte initial, il comprend trop tard.
      C'est ce que je voulais changer.
      Merci pour tes mots, qui sont vraiment touchants, comme d'habitude.

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  6. Poignant, oui ! Je ne connaissais pas cette nouvelle à chute, la tienne est réussie ! :D

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    1. Merci Leil!
      Et il faut vite que tu lises Nadine. Elle est dans un manuel de 5e.
      Faudrait que je te le retrouve.

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