lundi 18 avril 2016

Métiers à risques, postes à pourvoir (Une photo, quelques mots # 64)



© Kot

Une salle d'attente quasiment vide.
Une télévision passe en boucle une vidéo de coaching : conseils en développement personnel. 

- C'est la première fois que vous venez? 
- Oui. Cela se voit tant que ça? 
Ses lèvres esquissent un sourire un peu triste. 
- Non, non, mais vous semblez nerveux, c'est tout. Vous êtes là pour quel poste? 
- Celui de coupable. 
- Vous? Coupable de quoi? Détournement d'argent? 
- Oh, non. On ne les condamne à rien, ces gens-là. Je veux qu'on m'inculpe de vol avec violence, de meurtre, de viol... je veux la perpétuité.
Silence gêné. 
- Vous n'avez pas peur de la prison? 
- Non. Je me sens prêt. Je me suis beaucoup entraîné. Chez moi, j'ai vécu une semaine dans un placard, ça s'est bien passé. 
Un temps. 
- Et vous? Pourquoi êtes-vous là? 
- Je postule pour être crash test humain. 
- Oh ! Mais c'est vraiment risqué, ça!
- Pas vraiment, en fait. Avec le niveau de sécurité des voitures d'aujourd'hui, ça n'est pas plus risqué qu'un tour de Space Mountain. 
- Ah bon... mais quand même... en tous cas, bravo. Je ne sais pas si je pourrais supporter la douleur, à votre place. 
-  Vous savez, dans la majorité des cas, vous êtes inconscient quand ils vous sortent de là. Ensuite, à l'hôpital, on vous gave de médocs et vous ne sentez rien. La rééducation, c'est le plus difficile. Des mois avant d'y retourner, si tant est qu'on vous reprenne. 
- Je comprends. 
Une jeune femme toute vêtue de blanc annonce le numéro 64. L'aspirant coupable se lève. 
- Vous croyez qu'il sera pris? 
- Je ne sais pas. De quoi est-il question exactement? 
- Du gars, là. Il veut être coupable. 
- Désolée, monsieur, je ne vois pas de quoi vous parlez. 
Un temps. 
- Et vous, c'est pour quoi? 
- Aucune idée. Je ne sais vraiment pas ce que je fais là. 
- Madame, vous êtes sûre que ça va? 
- Enfin, laissez-moi, à la fin, je vous dis que je n'ai rien fait ! 
- Excusez-moi, je ne voulais pas... 
- Oh, non, aucun problème. C'est moi. En fait, je m'entraîne. A ne pas savoir ce dont on me parle. A faire l'innocente et la victime.  
- Ah, d'accord... Mais pourquoi ? 
- Je suis là pour l'annonce 752 : recherche jeune femme, la trentaine, bien sous tout rapports, qui sache mentir et dissimuler ses émotions. Expérience en comptabilité internationale recommandée. 
- C'est quel job? 
- Femme d'homme politique. Dites... j'étais bien? Je veux dire, tout à l'heure, quand j'ai fait semblant de ne pas vous répondre, c'était bien? Convaincant? 
-  Ah, ça... Oui... Oui, oui, c'était bien. 
La jeune femme en blanc réapparait. 
- Le numéro 65, c'est moi. Bon, ben... j'y vais. Au revoir, Madame. 
- Au revoir, Monsieur. Bonne chance ! 
- Merci. A vous aussi.  


Une 64e participation aux accents absurdes, à l'atelier de Leiloona. Absurde comme ce que j'ai vu à travers la photo de cette salle vide. 
Une salle vide qui m'a immédiatement fait penser à une salle de réunion. 
Une participation directement inspirée d'une nouvelle de Martin Page "Vocation pour une occupation perpétuelle", publiée dans le recueil La Mauvaise habitude d'être soi : l'histoire du coupable, c'est la sienne.
Ma petite tête a fait le reste.  

7 commentaires:

  1. Ton texte vient de m'en inspirer un autre. Merde, comment n'ai je pas pensé à écrire ce truc avant ?
    J'aime beaucoup ton idée !

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    1. Ah, si je t'inspire maintenant, c'est dingue!!
      J'aurais voulu avoir plus de temps pour creuser cette idée, mais impossible (faut croire que cinq heures de route, c'était pas suffisant! :) )

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  2. Louise Morgendorfer19 avril 2016 à 17:36

    Drôle et efficace, un peu troublant aussi! Un chouette texte décalé

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    1. Merci!!
      Troublant, j'imagine, mais c'était le but, tu penses bien.

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  3. Quand je pense que j'ai failli passer à côté puisque tu n'étais pas sur la liste du premier jour !!!Il est royal ce texte, complètement ubuesque....Pourquoi ai-je pensé à Devos ? un truc qui n'a pas de sens mais qui en a tellement finalement!!!!Bravo...

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    1. Merci Bénédicte!
      J'ai monté un spectacle de théâtre avec les élèves, sur le thème de l'absurde, j'ai baigné dans cette atmosphère un long moment. Ce fut donc facile de m'y remettre pour cette photo.

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  4. Ubuesque est le mot; Très décalé aussi! Une ecture vraiment plaisante.

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