Mai 2018
- Bon sang, mais t'as trouvé ça où ?
Alexis n'en revenait pas. Il avait sous les yeux un exemplaire original de la Bible, traduit en slavon, cette langue éteinte dont seuls quelques rares écrits liturgiques comptaient encore des traces.
- Tu peux traduire, ou pas ?
- Seulement si tu me dis d'où te vient ce truc.
- De la bibliothèque de la famille d'un élève.
- Tu copines avec les parents d'élèves, toi, maintenant ?
Alors Suzie raconta.
Octobre 2017
- Madame, à propos de Victor Hugo...
- Oui, Johann, vous avez une question ? demanda Suzie, en rangeant son bureau. Elle devait laisser la place à un collègue et se maudissait à chaque fois de tout le foutoir qu'elle parvenait à sortir de son sac en seulement trois heures de cours.
- Non, c'est pas une question. Enfin, disons que le grand-père de mon grand-père connaissait bien Victor Hugo, ils s'écrivaient beaucoup.
- Sérieusement ? C'est incroyable, ça. Votre grand-père a-t-il gardé des lettres ?
- Oui.
- Quelle chance ! Il faut que vous y jetiez un œil, ce sont des pépites, vous savez.
La semaine suivante, Johann lui avait apporté une photocopie d'une lettre manuscrite. Suzie n'en était pas revenue. L'écriture de Hugo, à la plume, était quasiment indéchiffrable pour un œil non averti. Mais une très grande émotion l'avait saisie dans l'instant.
- Il en a beaucoup, votre papi, des comme celle-là ?
- Oui.
Pendant plusieurs jours, Suzie n'avait pas cessé de sortir et de lire la lettre photocopiée. Cette famille détenait un trésor, et elle n'en avait pas conscience. Elle aurait tant aimé faire quelque chose, mais quoi ?
Décembre 2017
- Maman, c'est ma prof principale, et ma prof de français, aussi.
Suzie adressa un franc sourire à la femme grande et mince qui se tenait devant elle, et lui tendit la main.
- Bonsoir Madame Vasseur, asseyez-vous, je vous en prie.
La maman de Johann écouta attentivement les remarques de Suzie sur le premier trimestre de Johann, qui se débrouillait très bien, pour un début de 2nde. Mais très vite, les deux femmes dévièrent vers ce qui tenait Suzie encore éveillée certains soirs :
- Mon fils m'a dit que vous aviez déchiffré la lettre qu'il vous a confiée. Je n'y suis jamais parvenue. Que dit-elle ?
Les yeux de Suzie brillaient de surprise et d'enthousiasme lorsqu'elle lui répondit.
- Hugo raconte le voyage retour d'un court séjour chez des amis. Je n'ai pas pu trouver de qui il s'agissait, d'où il venait, ni où il se rendait.
- Cela vous intéresse, de voir les autres lettres ? demanda la maman.
La famille de Johann lui avait alors ouvert les portes d'un domaine modeste, mais qu'on devinait prospère auparavant, et surtout celle de l'immense bibliothèque familiale. Un cadeau de Noël inespéré et magique pour la passionnée de littérature qu'elle était. Elle avait découvert des ouvrages rares et inédits, une correspondance abondante entre l'aïeul et de célèbres écrivains. C'était également un collectionneur acharné. La propriétaire des lieux et la jeune enseignante ne s'étaient plus quittées.
Mai 2018
- Alors, tu peux traduire ? demanda Suzie à son ami, véritable expert des langues slaves de par ses origines et ses études. A la fac, Alexis s'était lancé le pari fou de se spécialiser dans les premières diffusions et traductions des évangiles et de La Bible.
- Probablement. Tu le veux pour quand ?
- Dans un mois. Notre association inaugure sa première exposition au domaine des Vasseur le 4 Juillet. Et cet écrit en est la pièce maitresse.
Alexis ne l'écoutait déjà plus. Il était plongé dans le manuscrit et ses caractères mystérieux.
Suzie sourit. Le trésor était déterré et elle était fière d'avoir donné le premier coup de pioche pour le rendre à la vue de tous.
Dernier écrit de l'année, pour l'atelier de
Leiloona.
Histoire librement inspirée d'une anecdote de classe. J'ai vraiment en ma possession la photocopie d'une lettre adressée par Victor Hugo à l'ancêtre d'un élève. Une pépite.