"Attendez-moi!" crie Yanis en courant.
En vain. Les autres ne l'entendent pas.
Les "grands", son frère Sofiane et ses copains, s'éloignent, le pas pressé, vers le bâtiment d'en face.
Ils ne courent même pas, mais Yanis, malgré tous les efforts que fournissent ses petites jambes, ne parvient pas à rattraper son retard. L'écart se creuse entre lui et la bande.
"C'est pas juste", pense-t-il, et son pied rageur vient frapper le goudron.
Qu'est-ce qu'il espère? Que la force de son pied va faire trembler la terre? que les gosses vont se retourner, se rendre compte qu'il est là, et l'attendre?
Si tu savais, Yanis... Les autres ne veulent pas de toi, c'est certain.
Tu ne ferais que les ralentir, poser des questions idiotes, les embarrasser... tu irais même balancer à ta mère ce qu'ils font derrière le bâtiment C.
Tu n'es qu'un bébé.
Yanis hésite. Pour les rejoindre, il faut traverser la rue.
Seul.
D'habitude il n'a pas le droit.
Mais il a bien envie, quand même.
Si tu savais, Yanis...
Mets un pied en dehors des clous et ta mère le saura.
Sur ces murs de béton qui t'entourent s'ouvrent des fenêtres,
d'où des dizaines de paires d'yeux t'observent, épient, guettent...
Ils diront qu'ils ne veulent que ton bien, en vérité.
Yanis lève les yeux vers le cinquième étage du bâtiment B, vers la petite fenêtre sur la gauche. Il la repère facilement, à cause du pot de fleurs orange posé sur le rebord, celui que Sofiane et lui ont offert à maman pour son anniversaire.
Pour une fois, elle n'est pas en train de le surveiller.
Mais la voisine, si.
Une bonne raison de ne pas traverser, parce qu'elle va le dire à maman, c'est sûr.
Si tu savais, Yanis...
Comme tu étais fier, ce jour-là! Même si Sofiane n'a pas voulu que ce soit toi qui portes le pot de fleurs à maman, même s'il t'a poussé fort pour te le prendre des mains, tu étais content de faire plaisir à ta mère.
Ta mère t'avait donné le droit de placer le pot sur le rebord de la fenêtre et la voisine, toujours là, t'avait félicité... tu étais un bon petit, un bon fils.
Yanis se bouche les oreilles, les sirènes font trop de bruit.
Il voit des hommes en noir, descendre de voiture et courir vers Sofiane et les autres. C'est drôle, ils portent autour du bras des bouts de tissus orange, comme le pot de fleurs...
Mais pourquoi emmènent-ils Max? Un grand monsieur pousse Sofiane comme Sofiane l'a poussé lui, le jour de l'anniversaire.
Yanis entend son nom.
C'est la voisine qui lui dit de remonter très vite et de rentrer.
Si tu savais, Yanis...
Elle croit te sauver la vie. Toi le petit dernier, toi le bon fils, l'adorable bambin.
Pour les autres, les grands, elle ne peut rien faire, ils sont déjà perdus.
Mais pour toi, et tous les gamins de la cité, il faut que ça s'arrête, il faut vous protéger.
Lorsqu'elle t'appelle, tu obéis, évidemment.
De là où tu es, tu ne peux pas voir qu'elle a encore le téléphone à la main...
Treizième participation à l'atelier "Une photo, quelques mots" de Leiloona et toujours autant de plaisir!