lundi 19 septembre 2016

L'air du temps (Une photo, queslques mots # 71)



 Romaric Cazaux

Les aventures de Georges ont débuté ICI


Georges leva le nez de son écran et regarda la mer. Elle s'agitait plus qu'hier. Cela le fascinait, cette immense étendue, tellement familière maintenant et pourtant si surprenante de jour en jour. Il ne s'en lassait pas. 
Une bourrasque plus soutenue lui tira un léger frisson. Il eut le réflexe de prendre sa veste sur le dos de son siège mais se retint. Il n'allait pas jouer les papys frileux alors que Denise, elle, était en manches courtes et supportait très bien cette "brise", comme elle la nommait. 
Ah, Denise! 
Il contempla un instant son profil gracieux, les plis de son front concentré. Toute son attention était portée sur son smartphone. C'est elle qui lui avait fait découvrir ces appareils-là. 
Il l'avait rencontrée, et sa vie avait changé. 

Cela faisait à peine six mois qu'il avait fugué de sa maison de retraite. 
Il se revoyait encore, le journal à la main, épluchant les annonces immobilières, à la recherche d'un logement où dormir à l'abri le soir même. Il avait trouvé un meublé, dans un quartier discret, et toutes ses économies étaient passées dans le paiement de la caution. 
Le lendemain, au supermarché, un peu paumé, il était tombé nez à nez avec cette dame élégante, à qui les lunettes et les cheveux blancs donnaient un air encore plus distingué, mais qui pestait, dans un langage fleuri qu'il n'aurait pas cru entendre de sa bouche, contre les produits placés sur les rayonnages les plus élevés. 
N'écoutant que sa galanterie naturelle, il s'était saisi du produit d'entretien convoité et le lui avait tendu, timidement. 
Denise, puisqu'elle lui avait donné son nom illico, s'était avérée être une femme particulièrement bavarde et dynamique, et accessoirement, sa voisine de l'immeuble d'en face. 
Ils avaient pris l'habitude de se guetter, se saluant au supermarché, puis rapidement se retrouvant à la terrasse d'un troquet pour boire un café. 
Georges revivait, retrouvait ses vingt ans et se sentait libre comme jamais. 

Bien sûr, ses enfants l'avaient sermonné, engueulé, même, lui intimant l'ordre de rentrer immédiatement à la maison de retraite. Mais au téléphone, et ne sachant pas où le trouver, que pouvaient-ils faire? "Plutôt crever", avait-il répondu, avant de raccrocher. 
Depuis deux mois, Denise partageait sa vie et son petit appartement. Après tout, pourquoi dilapider l'argent par les fenêtres en payant deux loyers, alors qu'ils étaient toujours ensemble? Georges avait pensé "toujours ensemble, sauf la nuit...". Il faut croire qu'elle avait su lire dans ses pensées, et, avec un pragmatisme désarmant, Denise lui avait fait part de ses réflexions. 
Elle avait totalement bousculé ses habitudes, lui imposant un abonnement internet et un téléphone connecté, ses produits de beauté dans la salle de bains et ses programmes télé à l'eau de rose. Il avait cédé à tout, de bon coeur. 

S'il n'avait pas vu tout de suite l'intérêt de la connexion internet, il reconnaissait volontiers que ça passait le temps. Et puis, avec ça, il gardait contact avec ses petits enfants. C'était Mélanie, sa dernière petite-fille de quinze ans, qui lui avait suggéré de devenir "ami" avec elle sur Facebook. Alors qu'il passait son coup de fil hebdomadaire à son fils (seule concession accordée pour avoir la paix), c'est elle qui avait répondu. Bon dieu qu'elle lui manquait ! 
Mais la gamine avait de la ressource. Elle lui avait expliqué la démarche, pour se créer un compte, lui avait trouvé un pseudo qui faisait "jeune", "pour ne pas éveiller les soupçons", avait-elle précisé, et depuis, il suivait toute la vie de l'adolescente à travers son écran. S'il était dubitatif su l'intérêt des "selfies", il devait reconnaître que les réseaux sociaux étaient une révolution extraordinaire.

Denise avait voulu partir en vacances. Comme tout le monde, selon elle...
Et aujourd'hui, il se trouvait là, sur cette plage, en compagnie de celle qui, il l'espérait, partagerait le reste de son existence, à respirer les embruns, à ne penser à rien, à revivre, enfin.  




71e participation à l'atelier de Leiloona, Une photo, quelques mots, sur Bric à Book. 
Un texte qui a été une évidence à écrire!

6 commentaires:

  1. Une très jolie histoire, merci Sarah !!

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  2. J'aime beaucoup l'idée de cette rencontre et de ces émois sur le tard. Cela donne du baume au coeur. J'aime aussi l'histoire du lien avec la petite fille, merci internet quoi qu'on en dise. Au délà, ce texte est aussi l'histoire d'une liberté reconquise, ce qui me touche beaucoup.

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  3. Go, Georges ! Tu as bien raison, les maisons de retraite sont sinistres alors que la vie avec Denise a l'air plutôt fun :-)

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  4. Que c'est beau et doux ! Merci pour cette touche d'amour !

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  5. C'est vraiment charmant à lire ton texte !!...Une bouffée de gaieté et d'optimisme...Il n'y a pas de date de péremption pour l'amour et le fait qu'il n'ait pas beaucoup d'argent éloigne l'idée d'une veuve noire !...Je pense même que son fils grognon va finir par s'y faire sous l'influence de Mélanie peut-être, son cheval de Troie internet!

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  6. Une très belle suite en effet qui m'a en plus donné l'occasion de lire ton premier texte ! jolie histoire ! une autre suite est encore possible ;-)Nady

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