© Claude Huré
Bon sang, mais pourquoi tout était écrit si petit?
Georges se maudissait d'avoir oublié ses lunettes... mais il était parti tellement vite, aussi...
Studio 25m², kitchenette équipée, chauffage collectif, proche métro et commerces, 700 euros charges comprises.
Ah oui, quand même... c'était pas donné.
Quand ses petits-enfants se plaignaient que la vie était chère, il levait les yeux au ciel, priant pour qu'ils arrêtent de geindre sur leur vie de cadres sup' ultra bien payés.
Georges tourna la page. Il fallait qu'il trouve. Et vite. Sans quoi c'est sur ce banc qu'il dormirait ce soir. Hors de question de retourner là-bas. Plutôt crever.
Ils ne devaient pas encore s'être aperçus de son départ, mais ça ne saurait tarder. Et alors là, branle-bas de combat, les enfants seraient prévenus, la police aussi, et ils ne manqueraient pas de le ramener dans sa chambre, avec sermon moralisateur en prime. Assené sur le ton du parent qui gronde son enfant.
Tout était allé si vite... Il prenait le soleil dans le petit jardin près de la salle de télé, luttant contre l'assoupissement qui le gagnait immanquablement chaque après-midi depuis qu'il ne fichait plus rien de ses journées.
Lorsque Madeleine s'était mise à pleurer, persuadée que son mari (mort depuis quinze ans) viendrait la chercher, et détrompée par une infirmière excédée, il n'avait pu en supporter davantage. Il s'était levé pour regagner sa chambre, avait arpenté le couloir gris encombré par un ou deux vieux, avançant moins vite que l'escargot sur le dos de la tortue, agrippés à la barre fixée à l'un des murs.
Il avait senti le souffle d'air frais, inhabituel à cet endroit du bâtiment. En voyant la porte de service ouverte, il avait compris que c'était sa chance. Sa chance de se tirer d'ici, de dire adieu à ses voisins de chambre séniles, et de retrouver sa liberté.
Il ne lui avait fallu que quelques secondes de réflexion. Il avait toujours ses papiers sur lui, son permis (même s'il ne conduisait plus depuis deux ans), et sa carte bleue. Son état mental lui permettait de bénéficier d'un minimum d'autonomie, et il pouvait sortir tous les matins chercher son journal, et un magazine de temps en temps.
C'est pour ça qu'ils ne remarqueraient pas tout de suite son absence. Personne ne faisait attention à lui. Le personnel avait bien trop à faire avec les incontinents, les alzheimer et les exhibitionnistes. Lui était l'exception normale au milieu de ce troupeau déshumanisé.
Georges releva la tête qui le faisait souffrir à force d'être penchée sur le journal. Il se massa la nuque quelques instants et replongea le nez dans les petites annonces.
Il ne fallait pas traîner s'il voulait être introuvable et au chaud ce soir.
J'aime vraiment beaucoup ce regard sur la vieillesse et sur la détresse de cet homme qui aspire à vivre encore dignement. Bravo.
RépondreSupprimerMerci Sabine, j'apprécie.
SupprimerC'est très touchant.
RépondreSupprimerMerci. Et moi, ce sont tes mots qui me touchent.
Supprimerj'adore ce petit texte, l'espièglerie de Georges et la description hélas bien juste du quotidien des personnes âgées. Merci pour cette escapade...
RépondreSupprimerMerci pour l'espièglerie, c'est tout à fait Georges!
SupprimerCette photo m'a également inspiré un Georges et une Madeleine. Amusant :) Oui sa vie à lui peut encore se passer de la collectivité et des désagréments que cela représente. J'espère qu'il y arrivera... Il est très réaliste ton Georges. merci :)
RépondreSupprimerOh, c'est vrai?
SupprimerLes grands esprits...
Je vais aller lire ton histoire de Georges et Madeleine, alors.
Et merci pour tes mots.
Il est marrant ce petit vieux avec sa détermination et son grain de folie. Je n'aimerais pas être à la place du personnel qui va le chercher partout ! Pour avoir une maman qui a travaillé en maison de retraite, je sais ce que c'est.
RépondreSupprimerMerci Saxaoul.
SupprimerOui, en écrivant, j'ai pensé moi aussi à une amie qui travaille en maison de retraite, et je me suis dit "quel courage!"
Quelle tristesse se dégage de ton texte, de ce vieil homme en fuite, si vulnérable...
RépondreSupprimerOh, c'est vrai?
SupprimerJe ne pensais pas que la tristesse se dégagerait de tout ça.
Mais si tu le ressens, alors il doit y en avoir... c'est le deuxième effet Kiss Cool.
J'aime bien l'image de l'escargot sur le dos de la tortue!
RépondreSupprimerC'est super. Bravo. On ne peut que souhaiter bonne chance à ton personnage. Il lui reste cette dignité et cette espièglerie : qu'il en use et en abuse... Vraiment bien. merci.
RépondreSupprimerMerci!
SupprimerOui, j'aime aussi son espièglerie.
Il ne doit pas être facile à vivre, Georges, mais il a bien raison!
On voit bien dans plusieurs textes cette semaine qu'il n'y a pas une folle attirance pour les maisons de retraite!!!Et pour y avoir régulièrement visité une vieille tante,j'ai encore dans le nez une odeur pas terrible, mélange de soupe, de désinfectant, de vieux vêtements et il faut bien le dire,de pipi....Alors je souhaite de tout cœur que ce monsieur encore vaillant réussisse son évasion....Allez, elle est juste au bas de la page la bonne annonce!!!
RépondreSupprimerOui, moi aussi, j'ai longtemps visité des personnes chères, et c'est la même impression que toi.
SupprimerMerci pour Georges!
J'aime ton écrit car il est vrai. Il est fou ce p'tit vieux, je l'aime bien. Je me suis dit "pourquoi est il en maison de retraite lui?" mais je sais hein...moi j'espère qu'ils ne le retrouveront pas. des bisous
RépondreSupprimerMerci Laurie!
SupprimerOui, il est un peu fou, mais c'est ce que j'aime aussi chez lui.
Et si tu veux tout savoir, ils le cherchent encore... ;)