lundi 9 janvier 2017

Et pourtant... (Une photo, quelques mots #75)


 
© Alexandra K

Valentine embrassa les montagnes des yeux une dernière fois.
Comme paysage enneigé, on avait connu mieux.
Dire "je suis allée skier" alors qu'on n'a à peine descendu deux pistes dans le week-end, ça en jetterait, demain matin au café.
Mais elle s'en foutait, elle n'était pas venue pour la neige. Encore moins pour le ski.
Elle sentit une main chaude se glisser dans la sienne, pour y déposer un bout de papier. Que pouvait-il lui écrire qui ne puisse s'envoyer par texto? Puis Benjamin, pour lui dire au revoir, l'embrassa sur la joue, là, si près de ses lèvres qu'elle en ressentit dans tout son corps le choc thermique le plus saisissant de sa vie.
Enfin, elle se décida à monter dans la voiture d'Hervé, et à mettre fin à cet intermède magique.
 
Lorsque le propriétaire les avait accueillis devant le chalet deux jours plus tôt, il l'avait dévisagée de la tête aux pieds, de sorte qu'elle avait sans peine deviné ce qui lui traversait l'esprit en voyant débarquer une jeune femme seule avec trois types.
Elle provoquait toujours cet effet-là, Valentine. Sans le vouloir. Sans trop savoir pourquoi. Taille moyenne, visage un peu rond, de longs cheveux blonds. Des yeux clairs, presque gris. Un physique banal, en somme. Et pourtant...
Elle attirait les regards masculins et suscitait leur désir presqu'immédiatement. C'était comme ça, et aucun homme n'y échappait.
Pas même Hervé et Julien. Hervé, surtout. Clairement amoureux depuis le collège, sa timidité l'avait jusqu'à présent empêché de se dévoiler. Julien la connaissait depuis leur petite enfance et nourrissait pour elle une affection plus fraternelle, mais cette attraction ne l'avait pas épargné vers l'adolescence. Valentine, elle, ne voyait en eux que les deux petits garçons avec qui elle jouait aux billes, les deux ados qui se battaient pour s'asseoir à côté d'elle dans le bus scolaire, et qui, pour elle, n'avaient pas grandi.
Alors que les deux amis préparaient ce week-end qu'ils pensaient passer entre potes, Benjamin lui avait simplement demandé "Tu viens?". Aussi simple que ça.
Tout lui indiquait que cette escapade était une folie : les partiels qui approchaient, son non-sens de l'équilibre légendaire, l'état de ses finances vu le prix de l'équipement, la perspective d'être la seule fille, tout. Elle finirait le week-end à découvert et avec une jambe cassée. Au mieux. Et pourtant...
 
Une fois installés, ils étaient montés près des pistes : ils avaient skié, elle avait tenté de les suivre. Si elle avait passé avec succès l'épreuve de la descente du télésiège, elle avait essuyé quelques gamelles qui l'avaient laissée étalée dans la neige, rieuse, trop fatiguée pour se relever seule. Elle avait alors passé plusieurs descentes près de Benjamin, ses skis à l'intérieur des siens, et ses mains accrochées à sa taille. Elle avait fini par le soupçonner de les faire tomber exprès, juste pour la serrer encore plus près de lui. Les glissades et freinages brusques d'Hervé avait montré sa désapprobation ; mais, comme à son habitude, il n'en avait rien dit.
 
Le soir, Benjamin n'avait cessé de s'activer en cuisine, évitant de penser à Valentine, là-haut, qui se prélassait dans un bain brûlant. Car ce qu'il avait en tête n'était guère réalisable dans l'immédiat : la mezzanine par laquelle on accédait à la salle de bains abritait aussi les quatre couchages du studio. Un lit double surplombait l'espace de vie et deux lits simples étaient installés dans l'espace en soupente. L'avoir relevée, tenue dans ses bras, et enlacée toute la journée l'avait chamboulé. La savoir si près de lui et ne pas pouvoir vraiment la toucher le rendait dingue. La nuit promettait d'être difficile.
Il était parfaitement conscient  des sentiments de Julien et Hervé pour Valentine. Il connaissait Julien depuis quelques mois et avait très vite côtoyé le trio. D'abord, il n'avait pas compris ce qui les reliait à la jeune femme. Puis, il en avait éprouvé quelque agacement - ne pouvaient-ils pas se détacher d'elle une bonne fois? - avant de réaliser de quoi il s'agissait vraiment. Point d'agacement, mais pointe de jalousie assurément. Jalousie de la voir toujours entourée, jalousie de devoir la partager. Il se maudissait de s'être laissé avoir lui aussi, d'être tombé dans le piège.
D'un geste trop brusque, il avait posé  sur la table le plat qui sortait du four et cogné au passage l'un des verres à pied qui s'était renversé, avait roulé jusqu'à exploser sur le carrelage lisse de la cuisine.  
Benjamin avait soupiré. Il fallait que cela cesse! Il trouverait le moyen de lui parler. Seul à seule. Il mettrait carte sur table. Il lui balancerait tout : se rendait-elle compte de l'effet qu'elle provoquait sur eux trois? A quoi rimait-il, leur "ménage à quatre"? Il se montrerait ferme : amis ou amants, elle devrait choisir.
Et pourtant...
 
 
Oh la la, je n'en reviens pas d'avoir écrit quelque chose d'aussi long cette semaine. Le manque des semaines d'absentéisme, probablement.
Je crains d'avoir oublié un peu beaucoup la photo en elle-même.
Pas grave, j'ai comme l'impression que j'ai trouvé une nouvelle source d'inspiration pour quelque chose de plus long, tiens...
Que ça fait du bien!

13 commentaires:

  1. J'aime beaucoup ! Je verrais bien un roman choral, en effet. Mais écrit à la première personne. Je pense que la 3e personne gêne vraiment l'histoire, là ;)

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    1. Merci ma Stéphie!
      Et pour la première personne, j'ai hésité.
      Mais je n'en suis pas fan, tu sais.

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    2. Moi non plus, tu le sais. Mais là, vraiment, la manière dont c'est narré à la troisième personne empêcherait, à mon avis, d'embarquer si le récit était plus long. Et il me semble que c'est ce dont tu as envie, si je te lis bien ;)

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    3. Oui, tu lis bien.
      Merci pour tes conseils toujours avisés, ma Stéphie.
      J'en tiendrai compte, promis!

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  2. une jolie histoire, peut être que la semaine prochaine on aura la suite :P

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    1. Merci Mylène!
      Cela va dépendre de la photo, en fait.
      En tous cas, c'est sûr, la suite elle est déjà dans ma tête!

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    2. Alors, écris-là. Photo ou pas.

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  3. J'ai adoré!!! Mais je veux en savoir plus!! Que va faire Valentine? Et comment vont réagir les garçons?

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    1. Merci!
      A suivre, donc... j'espère pouvoir la livrer sur une prochaine photo.

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  4. Ton histoire est belle, captivante et donne envie d’en savoir plus. Alors oui : une suite est incontournable ! Merci pour cette agréable lecture.:)
    Jos

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  5. Quelle coquine cette petite Valentine ! Un vrai plaisir de se faire désirer par 3 hommes. .. qu'elle ne tarde pas trop à faire un choix avant de perdre les 3 car la patience des hommes n'est pas grande... ;-) une suite s'impose... Nady

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