Anselme
La foule se presse, de plus en plus dense, en ce jour de gaieté.
Les rires résonnent autant que les ricochets des verres qui s'entrechoquent pour porter un toast.
Leurs voitures garées à perte de vue dès l'entrée du village, les touristes affluent, descendent de l'église au port par les rues piétonnes, et se tassent comme ils peuvent autour de l'embarcadère, coincé entre la crêperie qui ne désemplit pas et la galerie d'art face à l'océan.
Le dernier jeudi du mois d'Aout, la petite bourgade célèbre la fin de l'été. C'est la fête des loupiotes à Mornac.
A la tombée de nuit, les rues s'éclairent : bougies sur les rebords de fenêtres, guirlandes lumineuses aux portes, lampions suspendus aux tonnelles des restaurants... La magie opère.
Mais cette année, quelques artisans nouvellement installés ont décidé d'innover. La jeune trentenaire qui tient la maroquinerie a insinué que la fête s'essoufflait et qu'il lui fallait un coup de jeune. Le libraire l'a soutenue, probablement plus pour ces beaux yeux verts que pour ses idées révolutionnaires. La gérante de la galerie d'art et le couple d'anglais, patrons du salon de thé, ont refusé tout net. Les irréductibles, comme les surnomme la maroquinière, ont divisé la communauté commerçante. D'ailleurs, la galerie, pourtant bondée d'habitude ce soir-là, est fermée aujourd'hui.
Solène, qui assiste à la soirée des loupiotes depuis plus de 20 ans, contemple l'objet de toutes les discordes. Cet arbre à souhaits planté à mi-chemin entre le restaurant de son ami Etienne et la mairie. Les papiers multicolores se balancent doucement, à peine bercés par une très légère brise qui ne parvient pas à apaiser la moiteur lourde qui s'abat sur les corps et les esprits.
Solène le trouve beau, mais un peu triste. Ecrasées par la chaleur, les branches ploient sous le poids des étiquettes : série d'arcs de cercle tournés vers le sol, de sourires à l'envers, tel un saule pleureur courbé et solitaire... Deux enfants sautent, un bras levé, pour tenter de décrocher un des billets. Un couple accroche le sien, comme une promesse d'espoir pour l'avenir.
Solène s'approche, plus impressionnée qu'elle ne l'aurait cru. Elle se trouve ridicule. On n'a pas fini de se moquer d'elle. Fébrilement, elle saisit une des branches les plus hautes de l'arbre et y accroche un billet jaune. Elle contemple une dernière fois l'arbre à souhaits et s'en va sans se retourner, sans même un regard vers le port où le feu d'artifice a commencé.
Le vent, qui maintenant s'est levé, balaie ses doutes. Sur l'arbre, les pétales de couleurs bruissent doucement. Sur le billet jaune, on peut lire ces quelques mots : "Qu'elles soient lumière ou papier, la magie de Mornac à la fin de l'été, ce sont ces couleurs. Puissent ces couleurs vous rassembler et non vous diviser."
Comme un souvenir de vacances, pour cet atelier. Une petite photo des loupiotes de Mornac en vrai?
Bien envie de me rendre à Mornac pour l'occasion! Un bel apologue, bravo!
RépondreSupprimerEt bien c'est Solène qui a raison. Dommage qu'un arbre sème la discorde entre les habitants.
RépondreSupprimerJ'aime bien trouver dans ton texte des échos très actuels sur les couleurs qui m'évoquent bien sûr la peau, et les discordes dont nous ne manquons pas en ce moment ...Le tout en toute simplicité à travers l'histoire de Solène...Tant que certaines personnes accrocheront à l'arbre ce genre de vœux tout n'est peut-être pas perdu !!
RépondreSupprimerQue ce souhait se réalise ! Bravo Nady
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