vendredi 19 septembre 2014

Patients, Grand Corps Malade

"Elle est marrante aussi, cette phrase réflexe : « Ne bouge pas. » Dans notre situation, elle est complètement inappropriée, mais on se la sort quand même à tout bout de champ.
C’est comme quand tu dis à un aveugle : « On se voit demain. » 






L'histoire : Grand Corps Malade livre le récit de son année passée dans un centre de rééducation, après un accident qui l'a paralysé. 










Mon avis : Ce bouquin est une vraie leçon de vie. 
Dès la première page, on est dans le bain. Transféré de l'hôpital vers le centre de rééducation, Fabien raconte le trajet en détails. 
Des détails, il y en a des tonnes, dans ce livre : détails de la vie quotidienne de quelqu'un qui ne peut plus vivre sans assistance. Il nous livre le déroulement des soins, des séances de rééducation, les journées à rallonge, mais aussi les petits détails qui égayent une journée. 
Ces moments-là m'ont particulièrement touchée. Celui ou celle qui a connu l'hosto sur une longue période va se reconnaître, dans le portrait qu'il dresse des médecins, des infirmières, des aides soignants. 
Mais ce qu'il y a de bien, avec l'auteur, c'est qu'il ne s'apitoie pas sur son sort. 
A peine évoque-t-il son accident. Un truc "tout con", une bêtise de gosse insouciant, qui saute dans une piscine pas assez remplie. Verdict : cervicales déplacées et tétraplégie incomplète. Probablement handicapé à vie. Voilà le diagnostic. 
Une pudeur qui le pousse aussi à éviter d'évoquer ses proches et leur vécu de la situation. Il livre une histoire personnelle, intime certes, mais pas un déballage inapproprié de sa vie privée. 

Le reste, ce sont des anecdotes, des moments de vie, de complicité avec les autres résidents du centre, avec qui il partage des galères mais aussi des fou-rires.

"Farid s 'emmerde tellement quand il doit rester au lit alors que les autres partent en rééducation , qu'il a inventé le concept de "niquer une heure". Il est à l'affût de tout ce qui peut contribuer à faire passer le temps. Bien sûr , l'idéal , c'est le sommeil . Si tu fais une bonne sieste , tu "niques" une heure facilement . Un bon film à la télé peut te permettre de "niquer" une bonne heure et demie . Un long coup de téléphone peut être utile pour "niquer" vingt minutes ... Il est marrant ce Farid "

J'ai toujours eu beaucoup de mal avec le fait qu'en étant malade ou à l'hosto, on pouvait quand même se créer de chouettes souvenirs, mais l'expérience m'a appris que je me trompais. Pour Fabien c'est pareil : le fait est que cette période marque à jamais sa vie et le transforme.

On rit donc beaucoup au fil des pages, et la plume incisive, parfois douce, poétique, parfois plus amère, de l'auteur fait le reste.
Ce livre est émouvant, drôle, percutant, instructif... 

Et quand on aime l'auteur, on pense forcément à ça : 


"La nuit est belle, l'air est chaud et les étoiles nous matent
Pendant qu'on kiffe et qu'on apprécie nos plus belles vacances
La vie est calme, il fait beau, il est 2 heures du mat'
On est quelques sourires à partager notre insouciance
C'est ce moment là, hors du temps, que la réalité a choisi
Pour montrer qu'elle décide et que si elle veut elle nous malmène
Elle a injecté dans nos joies comme une anesthésie
Souviens-toi de ces sourires, ce sera plus jamais les mêmes
Le temps s'est accéléré d'un coup et c'est tout mon futur qui bascule
Les envies, les projets, les souvenirs, dans ma tête y'a trop de pensées qui se bousculent
Le choc n'a duré qu'une seconde mais ses ondes ne laissent personne indifférent
« Votre fils ne marchera plus », voilà ce qu'ils ont dit à mes parents
Alors j'ai découvert de l'intérieur un monde parallèle
Un monde où les gens te regardent avec gêne ou avec compassion
Un monde où être autonome devient un objectif irréel
Un monde qui existait sans que j'y fasse vraiment attention
Ce monde-là vit à son propre rythme et n'a pas les mêmes préoccupations
Les soucis ont une autre échelle et un moment banal peut être une très bonne occupation
Ce monde là respire le même air mais pas tout le temps avec la même facilité
Il porte un nom qui fait peur ou qui dérange : les handicapés
On met du temps à accepter ce mot, c'est lui qui finit par s'imposer
La langue française a choisi ce terme, moi j'ai rien d'autre à proposer
Rappelle-toi juste que c'est pas une insulte, on avance tous sur le même chemin
Et tout le monde crie bien fort qu'un handicapé est d'abord un être humain
Alors pourquoi tant d'embarras face à un mec en fauteuil roulant
Ou face à une aveugle, vas-y tu peux leur parler normalement
C'est pas contagieux pourtant avant de refaire mes premiers pas
Certains savent comme moi qu'y a des regards qu'on oublie pas
C'est peut-être un monde fait de décence, de silence, de résistance
Un équilibre fragile, un oiseau dans l'orage
Une frontière étroite entre souffrance et espérance
Ouvre un peu les yeux, c'est surtout un monde de courage
Quand la faiblesse physique devient une force mentale
Quand c'est le plus vulnérable qui sait où, quand, pourquoi et comment
Quand l'envie de sourire redevient un instinct vital
Quand on comprend que l'énergie ne se lit pas seulement dans le mouvement
Parfois la vie nous teste et met à l'épreuve notre capacité d'adaptation
Les 5 sens des handicapés sont touchés mais c'est un 6ème qui les délivre
Bien au-delà de la volonté, plus fort que tout, sans restriction
Ce 6ème sens qui apparaît, c'est simplement l'envie de vivre."
                                                                                                  Grand Corps Malade, Sixième sens

8 commentaires:

  1. Réponses
    1. Alors laisse-toi tenter;
      Ce n'est absolument pas glauque, même si certains passages te ramènent à la réalité.
      Et rien que pour le style GCM, lis-le!

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  2. ça a l'air d'être un beau livre, mais ça ne m'étonne pas vu le talent e son auteur !

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    1. Oui, c'est un beau livre.
      J'avais un peu peur, au début, mais en fait c'est émouvant sans être plombant.

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  3. Je suis contente que tu aies aimé ce livre, il est vraiment très émouvant, et comme tu dis, c'est une belle leçon de vie.

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    1. Le fameux sixième sens...
      J'ai vraiment pensé à toi et à ce que tu en avais dit sur ton blog quand je l'ai lu.

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