lundi 16 mars 2015

Franchir le cap (Une photo, quelques mots #33e)

                                                                      @ Diane

Servane ferma les yeux pour laisser le soleil et le vent caresser son visage. Elle se sentait bien.
Elle adorait cet endroit, mais n'y était pas revenue depuis plus de dix ans. Ce sentier, cet étang, lui étaient aussi familiers que son quartier. Elle avait même fait du chemin entourant l'étang son terrain de footing favori... pendant à peine un mois, certes, mais c'est l'intention qui compte, non?
Petite, elle y accompagnait son grand-père pour chercher des champignons. Concentrée, elle regardait partout, soulevait chaque feuille avec application, scrutait chaque fougère, avant de relever la tête et de hurler un "papiiiiiiiiiiii!" victorieux en cas de trouvaille ou paniqué si elle avait le malheur de le perdre de vue deux minutes. 
Adolescente, la petite plage située à 500m leur avait offert, à elle et au groupe de gosses habitant le même village, leurs premiers instants de liberté, loin du regard des parents. Vélos, mobylettes puis premières voitures avaient peuplé l'endroit d'ordinaire si calme, et la musique, les rires et les jeux idiots n'avaient pas semblé perturber outre mesure la faune locale. 
Même plus âgée, lorsqu'elle avait besoin de calme, de paix, c'était là qu'elle venait.

N'entendant plus le bruit du déclencheur à côté d'elle, elle se rendit compte qu'Adrien ne prenait plus de photos. Il la regardait, elle. 
Son coeur s'emballa : 
- "Arrête..." balbutia-t-elle, en enfouissant son visage dans son écharpe légère.
Pour toute réponse, il s'approcha d'elle, l'entoura de ses bras et replaça lentement derrière son oreille une mèche de cheveux que le vent avait laissé échapper de son chignon. 
Il adorait ce geste. Tout comme il aurait bien aimé défaire la pince et libérer sa longue chevelure blonde. 
Il mourait d'envie de l'embrasser. 

Au lieu de cela, il avisa la vieille embarcation échouée sur la rive de l'étang, trop grande pour être une barque, trop petite pour parler de bateau. Elle semblait posée là depuis l'éternité.
Une petite échelle de bois était posée contre la coque. Il mit le pied sur la première marche.
- "Tu es fou, s'écria Servane, tu n'as pas le droit!"
- Tu vois quelqu'un pour me l'interdire? répondit-il dans un rire en se hissant un peu plus haut. 
Le second barreau craqua.
- C'est dangereux, tout est surement pourri, tu vas te rompre le cou ou finir à l'eau" tenta Servane, pour le dissuader de poursuivre son ascension. 
- Allez, viens, c'est facile, même Célia pourrait grimper! 
- Elle ne sait pas marcher, je te rappelle.
- Oh, tu dis ça parce que tu ne l'as pas vue à quatre pattes, arpenter le salon de ses parents et s'attaquer à l'esca... 
Il s'interrompit soudain. Quel con! 
Evidemment, qu'elle n'avait pas vu Célia crapahuter partout. Cela faisait des mois qu'elle n'avait pas vu sa filleule... 
Elle était partie tellement vite de Paris la dernière fois... 

Au souvenir de leur rendez-vous à Notre Dame et de sa déclaration suppliante, Adrien sentit la brûlure cuisante de l'échec l'envahir. Il n'avait réussi qu'à la faire fuir. Elle lui avait demandé de se taire, l'avait longuement regardé, avant de bredouiller des excuses et de partir sans se retourner, sourde à ses appels. 
Alors qu'il s'était résigné à tirer un trait sur Servane, c'est elle qui l'avait recontacté. Un sms confus et adorable. Il avait failli ne pas lui répondre.  
Depuis, ils avaient échangé par écrit, entre mails et sms, une correspondance virtuelle que quelques coups de fil venaient égayer. Ils avaient avancé à son rythme.
Il n'avait accepté de venir la voir que pour être sûr qu'elle avait réglé tout ce qui devait l'être et qu'elle était prête à vivre autre chose avec lui. 
Pourrait-il supporter qu'elle le repousse encore?

- Servane? 
Un long frisson la parcourut en entendant Adrien prononcer son prénom. Elle sourit en levant les yeux vers lui, perché sur le pont du bateau.
- Oui? 
- Tu n'as vraiment jamais pris de risques, dans la vie? 
Décontenancée par la question, son premier réflexe fut de se planquer derrière une tentative d'humour foireuse : 
- Si. J'ai sauté à l'élastique. Deux fois. Dans une autre vie. 
Il leva les yeux au ciel puis sauta à terre, dans un mouvement souple qui la fit frémir. 
- Je suis sérieux. 

Servane lui prit la main, noua ses doigts aux siens. 
Il ne comprenait vraiment pas? 
Pourquoi étaient-ils là? Pourquoi l'avait-elle emmenée dans un endroit qui avait bercé toute une partie de sa vie? 
Lentement, elle caressa sa joue, se hissa sur la pointe des pieds pour l'embrasser timidement. 
Elle ferma les yeux un instant, inspira profondément avant de le regarder à nouveau. Dans un souffle, elle déclara : 
- Mes parents habitent à deux kms. Je te les présente?  

Instinctivement, Adrien se crispa. Il recula et s'écarta d'elle. Un courant d'air frais s’immisça entre eux, les séparant davantage.


Servane et Adrien, le retour. Episode six. 
Je suis contente de les retrouver. Et vous? 
C'était ma 33e participation à l'atelier de Leil sur Bric à book.

2 commentaires:

  1. C'est vraiment une gonzesse, ta Servane, hein... Elle le rend dingue et ensuite, elle veut lui présenter ses parents :)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Et encore, tu n'as pas idée de la réponse d'Adrien!!

      Supprimer